mardi 27 décembre 2016

L'autogestion comme mot d’ordre d’action, par Michel Pablo (1968)

On n’a jamais parlé autant de l’autogestion dans un pays capitaliste, qu’actuellement en France. Dans l’espace de quelques semaines l’idée de l’autogestion a tenté des milieux les plus divers, jusqu’au pouvoir, qui dans la personne de De Gaulle se fait maintenant l’avocat de la « participation ». 

Certes, le contenu que chacun donne à l’autogestion n’est pas le même. Mais le dénominateur commun à tous ceux qui parlent de « participation » consiste dans le fait que tous admettent la nécessité de la participation démocratique des producteurs et des citoyens à la gestion de la vie économique, politique et sociale du pays. 

Ce qui les différencie, c’est naturellement l’ampleur et la forme concrète que doit prendre cette participation à la gestion. Il serait particulièrement intéressant […] de réunir toutes les opinions émises dans les milieux les plus divers au sujet de l’autogestion pour démontrer à quel point cette idée est devenue consciemment ou inconsciemment, de manière claire ou confuse, l’idée-force, l’idée centrale, à partir de laquelle on sent qu’il est possible et nécessaire de remodeler l’ensemble de la vie sociale. 


Choses significatives, ce sont les organisations se réclamant de la classe ouvrière qui ont, à des degrés divers, le moins parlé de l’autogestion. Ainsi, par exemple, le PCF et la CGT, dont le rôle global dans les événements, jugé objectivement, mérite bien le titre de « grandes trahison », ont adopté l’attitude d’ironiser aussi au sujet du mot d’ordre « creux », « confus », etc. de l’autogestion. 

Pour ses directions, il ne s’agissait guère d’avancer des mots d’ordre transitoire capables de mettre en cause, par leur dynamique, le régime capitaliste, et encore moins de viser à la conquête du pouvoir et au socialisme. En tant que directions classiquement réformistes, elles ont préféré le réalisme à toute épreuve d’un programme minimum exclusivement salarial. […] 

Ce qui est important dans une situation qui se développe actuellement en France, n’est pas d’avancer des slogans généraux et abstraits, par exemple « Vive le socialisme », « Vive la révolution » […], mais de lier la propagande pour les buts généraux à des mots d’ordre transitoires aidant les masses à engager la lutte pour ces buts. 

Le mot d’ordre de l’autogestion a la particularité d’être à la fois un mot d’ordre transitoire et un mot d’ordre carrément socialiste. De ce point de vue, il était parfaitement juste et nécessaire d’insister […] pour que les ouvriers et les travailleurs qui ont suivi le mouvement des étudiants, occupent les usines et les différents services sociaux, réalisent eux aussi l’essentiel du message de ce mouvement en commençant à gérer, comme les étudiants leur université, leur lieu de travail professionnel. 

Les étudiants sont passés de la contestation verbale de la société « néocapitaliste » à l’acte révolutionnaire de l’abolition pratique du contrôle de cette société sur leurs écoles, grâce à la gestion de ces dernières par eux-mêmes […]. 

Les travailleurs devraient en faire autant en rejetant la grève passive et l’occupation passive des lieux de travail pour passer à leur autogestion. 

À partir de ce moment, on franchit automatiquement une étape pour accéder à un niveau de la lutte qualitativement supérieur qui ouvre largement la nécessité et par conséquent la perspective également du pouvoir. 

C’est par l’autogestion que se pose et se réalise la lutte pour le pouvoir, car l’autogestion, même limitée au début au seul lieu du travail, signifie abolition pratique du pouvoir capitaliste. 

Donc, il n’est pas du tout nécessaire de conquérir préalablement le pouvoir pour lutter pour l’autogestion. Il faut commencer par poser la question de l’autogestion des lieux de travail pour entamer la lutte pour le pouvoir tout entier. C’est donc dans cette logique, dans ce développement dynamique, que réside le caractère du mot d’ordre transitoire par excellence de l’autogestion. 

[Il] n’est certes pas question de pratiquer l’autogestion en régime qui demeure capitaliste. L’autogestion, en tant que mot d’ordre transitoire n’est applicable qu’à des périodes révolutionnaires comme celle que nous venons de connaître en mai et juin en France, devant évoluer rapidement de la dualité du pouvoir vers la prise du pouvoir. 

C’est dans cette perspective que les questions pratiques de la gestion de telle ou telle usine, entreprise ou service trouvent leur solution concrète. Mais c’est d’autre part [dans] la réalisation immédiate de la gestion des entreprises et des services sociaux affectant directement la vie des travailleurs […] qu’on matérialise pour eux (les travailleurs et la population générale) la possibilité et même l’efficacité du pouvoir ouvrier. […] 

juin 1968 

Source : Sous le drapeau du socialisme, n° 45, juin-juillet 1968.
Autogestion, l'encyclopédie internationale (Syllepse)

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