vendredi 23 juin 2017

Le jour d’après est là : les débats sont encore à venir. Contribution par Eugène Bègoc.



Il y a urgence à ne pas bâcler les conclusions à tirer de la séquence 2015-2017. Le fait est massif : 37 % des voix toutes candidatures à gauche additionnées le 6 décembre 2015 ; 27 % le 23 avril ; 20 % le 11 juin. Reste à mesurer la portée du recul (point 1) et surtout à engager les dialogues pour sortir par le haut et sur la gauche de la défiance massive envers le politique(point 2). L’échec de JLM2017 vient après l’échec du NPA et l’évanouissement du Front de Gauche au lendemain de 2012 : il n’est donc pas concevable de ne pas remettre sur le métier la stratégie et la question du cadre d’action (point 3).



Point 1 : vivons-nous une défaite majeure à gauche ?


L’étiage des gauches européennes est en dessous de 30% en Grande Bretagne, en Italie, en France mais pas en Grèce ni au Portugal ;la situation est incertaine en Espagne comme en Allemagne, où le total die Linke, Grünen et SPD dame le pion à l’alliance CSU-CDU.Le cas des deux plus vieux Etats nation,le britannique et le français,devient très préoccupant :l’identité nationale y est redevenue un prurit majeur, le raidissement dans l’entreprise et dans la cité s’avance sans complexe, les institutions étatiques et les bourgeoisies financières systématisent des répliques locales au néo-conservatisme nord-américain.


Replacer dans ce contexte les derniers jugements électoraux français fait toucher du doigt « le basculement démocratique », cette caractérisation par Rosanvallon de la montée en première ligne du FN et des deux sans-parti, Macron et JLM2017, à la faveur du retrait des deux partis de gouvernement de la 5ème république.Schématiquement,  1958 a parachevé une logique ordo-étatiste où les assemblées élues, du conseil municipal à l’assemblée nationale, sont à la main d’une pyramide de titulaires des fonctions exécutives - maires, présidents des conseils départementaux et régionaux, avec au sommet l’occupant de l’Élysée et son premier ministre. Pompidou puisMitterrandont successivement structuré deux partis gouvernementaux aptes à accoler à cette pyramide d’exécutifs une clientèle cooptée dans les grands corps d’État. Ce mode d’existence politiquesait intégrer des Nicole Notat à tous les étages mais sa vocation première est d’être réceptif aux « conseils » des grandes entreprises privées et publiques, à capitaux strictement nationaux ou non.


L’usure du bipartisme à la française est ancienne mais l’effondrement quasi-intégral du parti gouvernemental de gauche et la fracturation irrémédiable du parti gouvernemental de droiten’en ouvrent pas moins aujourd’hui sur de véritables inconnues.Le tête-à-queue électoral du 23 avril emporte autant de conséquences désastreuses pour la gauche sociale et féministe en France que le tête-à-queue électoral du 23 juin 2016 en Grande Bretagne.


Pour autant, l’heure est aux prolégomènes. Le ticket gagnant du 23 avril n’est encore que le haut fonctionnaire Macron propulsé à la place du politique :c’est un peu comme si Michel Debré et non de Gaulle avait supplanté le havrais René Coty le 21 décembre 1958.Nous vivons une entrée dans un nouveau moment politique du continent, pas la victoire du néo-libéralisme autoritaire à laquelle travaillent de larges secteurs dirigeants. Le recul est certain, le danger croissant, l’impératif est d’affronter le problème central des gauches.



Point 2 : la défiance à l’égard du politique


Le quinquennat de Hollande vient de porter à son apogée l’intégration de la gauche dans l’Etat. Ces cinq dernières années, les matrices du néo-conservatisme à la française que sont le corps préfectoral, la hiérarchie des armées, le corps diplomatique, l’inspection des finances… ont continué à exercer leurs prérogatives comme si Sarkozy n’avait pas été battu en 2012 : 

-      -   militarisation des frontières aériennes, maritimes, ferroviaires et, partiellement, routières ;

-      -   humiliations et harcèlements récurrents des citoyen.ne.s des grands ensembles ;

-     -    pouvoirs préfectoraux sans contrôle des procureurs depuis la proclamation de l’état d’urgence ;

-     -    nouvelle vague de lois liberticides ;

-     -    mise en place des bases de l’anéantissement d’un droit du travail péniblement bâti par des décennies de syndicalisme et de recours en justice ;

-     -    mise en surveillance informatique des allocataires des minimas sociaux et des Assedic ;

-     -   fusion autoritaire des assemblées régionales en couronnement de la subordination budgétaire de toutes les assemblées élues ;

-     -   continuité polymorphe entre opérations militaires extérieures et mise sous contrôle d’espaces intérieurs « sensibles » ;

-      -   affichage d’une politique de déchéance de nationalité en couronnement d’une politique massive d’interdiction de séjour ;

-    -    refoulement actif des réfugié.e.s… 


Il n’y a pas un domaine où depuis le 22 avril 2002 aient été freinées les mises en ordre conçues dans les profondeurs de l’appareil d’État, il n’y a pas une question où Hollande-Valls ne leur ont pas permisde tester jusqu’où repousserles limites.Et il n’y a pas un enjeu sur lequel Valls-Hollande n’aient pas eu à contourner voire à criminaliser des oppositions très significatives : PSAAulnay, quartier nord d’Amiens, salarié.e.s de Gad, soutiens aux Rroms, bonnets rouges de Carhaix, Notre Dame des Landes, Sievens, Ferme des mille vaches, Air France, Goodyear, chauffeurs uber, soutiens à Calais et à Vintimille aux réfugié.e.s, LDH vent debout contre l’état d’urgence, intermittents et précaires, organisations de jeunesse et intersyndicale massivement suivies dans le rejet de la loi Valls-Macron-El Khomri.


Martine Aubry le 6 décembre 2015 eut un diagnostic essentiel : « ils ont tué la politique ». Toutes gauches confondues, nous sommes perçus – et nous nous percevons – en déficit de capacité collective à porter des choix de société. Nos incapacités renforcent la défiance à l’égard du politique qu’ont fait grossir deux décennies de refus du parti gouvernemental de gauche de mener des réformes tangibles dans la quotidienneté et le travail. Le scepticisme est au moins aussi grand dans les couches moyennes que dans les classes populaires : le sentiment qu’il n’y a de solution que dans des démarches à petits pas, qu’il faut se limiter au semi-collectif et de l’individuel a encore progressé depuis la confrontation de 2002. Ce sentiment est fortement encouragé par la droite et par l’extrême droite ainsi que par tous les acteurs qui partent de la gauche pour rallier plus ou moins ouvertement les solutions autoritaires et pour prôner la reconnaissance « réaliste » du primat de l’économique sur la société. 


Il n’y a là aucune tendance irrépressible : ce sentiment reflue périodiquement et de façon très explicite comme dans les moments de contestation globale de 2005-2006,de 2010 et 2016. A l’encontre des lassé.e.s du clivage droite-gauche, on est en droit d’affirmer que le renoncement du PS comme ligne de conduite a été le fait majeur depuis le référendum de septembre 2000. Il n’y a pas une droitisation de couches de la société qui aurait contraint ce parti à se modérer : c’est au contraire la droitisation des esprits et des pratiques des femmes et hommes du PS et au-delà qui tire différentes sphères sociales vers le bas et dans le conservatisme.Les macronades sont le point d’aboutissement provisoire de cette régression du politico-étatique et elles n’ont rien d’irrésistibles.


L’important est de clarifier pourquoi dans les gauches sociales, féministes et politiques, modérées comme radicales, les réponses concertées restent aussi fragiles – appel à la primaire pour un bilan et un repositionnement en contre-point de la déchéance de nationalité ; pétition « on vaut mieux que ça » ; réunion de Solidaires et de la CGT dans un front syndical ; Nuits debout !Crise de l’agroalimentaire breton et veto sur l’écotaxe, Grèce, accueil des réfugié.e.s, fusion autoritaire des assemblées régionales… : les prises de position des partis ayant pignon sur medias se sont bornées à des généralités confuses et n’ont jamais passé le cap des prises d’initiatives. La rupture dans cette impuissance auto-entretenue aura attendu la riposte cégétiste aux provocationsde Valls et la défense interprofessionnelle des poursuivi.e.s d’Air France et de Goodyear. 


On peut soutenir qu’il s’en est fallu de peu que le régime ne soit mis en crise en mai et juin 2016, leconflit entre l’Élysée et Matignon alors aiguisé par les mouvements politiques de plusieurs grands secteurs d’activité. L’atonie du Front de gauche a alors été un facteur d’encouragement à aller jusqu’au bout à Matignon et à l’Elysée. L’enfermement du PG et du PC dans leur conflit nous coûte cher : il était en fait contenu dans leur refus commun de 2012 que les assemblées citoyennes du FdG prennent essor et perpectives communes. Se repose aujourd’hui plus que jamais cette question du renouvellement des formes politiques et de leur ouverture large. 



Point 3 la stratégie, les pratiques


La question du cadre de travail va de pair avec une préoccupation centrale à Ensemble ! et dans l’appel des cent, la question de la stratégie. Il est en effet essentiel de ne pas se satisfaire de quelques considérations sur l’oligarchie mais d’analyser très précisément les fractures dans le camp des tenants de la reproduction du système. Le conflit est chez eux déclaré voire avancé. Il y a les repus, celles et ceux que le passé et le présent ont doté de patrimoine, de sur-revenus et de rentes et que « l’uberisation » guette. Ce sont les acteurs du Brexit, de la victoire du America first, de l’ancrage du berlusconisme, du sarko-lepénisme… Commerçants, professions libérales, gros artisans, élite enseignante ou culturelle, ils sont au contact des déclassé.e.s du tissu économique et industriel et se sentent aptes à capter les reclassements politiques sur l’axe de la France puissance, maîtresse de la mer et de l’espace comme de ses frontières.Ces repus sont d’autant plus dangereux que le réel les déborde : ce ne sont pas seulement les nouvelles générations qui n’adhèrent pas spontanément aux passions franco-françaises, c’est tout le tissu économique qui est intégré à l’échelle du continent, dans ses approvisionnements, ses modes de transformation et de commercialisation, et dont la trame est orchestréepar un petit nombred’états-majors aptes à calculer l’optimisation des compétences et des capacités de coopération. 


Le Brexit et America first sont de véritables tentatives de prélever une partie de surplus du réel économique pour contenter l’avidité des repus et leur donner un destin politique à défaut d’assurance vie. Bien malin qui peut dire pour la France, où le volet policier et liberticide est en pointe, quels femmeset hommes politiques porterontle « France d’abord » : à peu d’exceptions près, les candidat.e.s au 23 avril ont rempli des salles et fait les plateaux médiatiques sur cet horizon-là, y compris le candidat élu. 


Dit encore autrement, la préoccupation est de rester attentif à Habermas et la défense de l’Etat de droit contre Mouffe qui renoue avec le politique comme absolu sous couvert d’éloge du dissensus. Sa référence explicite au juriste Carl Schmitt réhabilite l’anti-libéralisme des années 20 et la détestation de la République de Weimar. Chez Carl Schmitt, c’est la négation des distinctions société civile, société politique, Etat lentement nées de la Renaissance qui est le prolégomène, c’est la raison et le dialogue qui sont condamnés. L’Etat a été la condition du marché ; c’est aujourd’hui le système d’Etat qui est la condition des marchés, ce qui n’exclut pas de brutales fracturations comme les préparent le Brexit et l’America First. Les questions européennes et les questions des droits démocratiques ne souffrent pas d’approximations à l’étape actuelle. 


Elles doivent occuper avec la question du travail et des coopérations au travail le premier plan dans la construction du cadre de travail car c’est des contenus et des préoccupations qu’il s’agit de partir.Le schéma a souvent été avancé, il s’agit d’impulser des forums sur les questions majeures, et notamment ces trois questions déterminantes que sont le travail, la démocratie, l’Europe.

Les cheminements du type mouvements d’opinions dans lesquels le PS et les Verts d’avant-hier ont excellé sont maîtrisés par les institutions vient de l’illustrer le pilotage par sondages de la séquence 2015-2017. Dans cet univers communicant, un score retentissant ne fait pas une existence politique, encore moins un mouvement de société. 


En revanche, le volontarisme dans le renouvellement des formes politiques peut permettre de croiser des expériences – professionnelles, sociétales – et de développer un pluralisme d’orientations et d’idées desquels faire surgir des initiatives citoyennes en prise sur les besoins sociaux que marginalisent l’Etat et le marché. Ce n’est pas ex nihilo que les formations politiques qui sauront ne pas laisser liquider patrimoine d’expériences et d’idées peuvent aller se présenter à nouveau sur le terrain du suffrage universel. Il faut donner vie à un espace public à distance du formatage étatique, un espace de rencontres des classes populaires et des couches moyennes. Pour faire en même temps que projeter. Développer une nouvelle aptitude à poser la question des pouvoirs dans la ville, l’école, l’entreprise, la justice…Et assumer la confrontation en marche.

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