vendredi 28 octobre 2016

Jalon pour notre histoire : Rapide histoire du Cercle féministe autogestionnaire Elisabeth Dimitrieff (1970/1975), par Danielle Riva

Ce texte rappelant l'histoire du cercle féministe autogestionnaire Elisabeth Dimitrieff a été présenté par Danielle Riva le 25 septembre 2010 à l'occasion du colloque "Faire et écrire l'histoire féministe et lutte de classes de 1970 à nos jours", colloque organisé à Paris par le collectif Droits des femmes.

Si la genèse du M.L.F., le Mouvement de Libération des Femmes, avec sa manifestation fondatrice en août 1970 à l’Etoile pour honorer la femme du soldat inconnu, est assez bien connue, son histoire fait toujours l’objet de recherches universitaires. Et le problème c’est bien de passer de la mémoire individuelle à l’Histoire. 

Beaucoup de féministes radicales se sont exprimées au cours ce ces 40 années (Anne Zelensky de la Ligue du droit des femmes, Liliane Kandel Temps Modernes, Christine Delphy « l’ennemi principal », etc.). Il est vrai qu’elles étaient en majorité des intellectuelles et que l’accès aux médias leur a été plus facile. Il en est de même pour le courant Psychanalyse et Politique d’Antoinette Fouque qui a carrément créé ses propres éditions « les éditions des femmes ». 


Il reste cependant tout un pan de l’histoire du mouvement des femmes dans l’ombre celle du courant Luttes de classes/luttes de femmes qui survit par l’intermédiaire des militantes du collectif « Droits des femmes » qui continuent à mobiliser les femmes autour de leurs revendications propres et des luttes générales actuelles. 

Toutes ces différentes féministes s’entendent pour dater la naissance du courant luttes de femmes/luttes de classes fin 1970 début 1971 à partir de la création du cercle Elisabeth Dimitrieff. Il s’avère qu’un membre du Comité de rédaction d’Utopie Critique a été partie prenante de cette histoire. Voici son témoignage. Ce colloque a rencontré un grand succès, tant auprès des militantes que des historiennes invitées, avec plus de 600 personnes présentes. 


«Pas de libération des femmes sans Révolution socialiste, Pas de Révolution socialiste sans libération des femmes».

Rapide histoire du Cercle Elisabeth Dimitrieff (1970/1975), par Danielle Riva

Quand les Féministes Révolutionnaires sortirent leur brochure « Libération des femmes année zéro », (Nov. 1970) des militantes de l’A.M.R la vendaient et étaient déjà actives dans ce qui allait devenir le Mouvement des femmes.

L’A.M.R (Alliance Marxiste Révolutionnaire) était une organisation issue de Mai 68. Certains de ses fondateurs étaient des militants Trotskystes, « les Pablistes », dont le projet politique reposait sur une « République socialiste autogérée » et qui avaient aussi milité activement aux côtés des Algériens lors de leur lutte pour l’Indépendance. 

Il revient à cette organisation marxiste critique d’avoir été l’une des premières a théoriser et a participer à la formation et au développement des « nouveaux mouvements sociaux » (jeunes : les Comités d’action lycéenne-, soldats : Information pour les droits des soldats et le mouvement des femmes). 

Il ne faut pas oublier de se replacer dans le contexte historique de cette époque. Le fond de l’air était rouge, la Révolution imminente et Mai 68 une avant première. Tout était à repenser. Il nous fallait retrouver ce lien implicite qui existait entre les périodes révolutionnaires et le développement des mouvements de femmes. 

Or une fois la période révolutionnaire passée, victorieuse ou réprimée, les femmes se retrouvaient à nouveau isolées dans leur foyer situation que nous analysions comme le résultat de l’absence d’une structure spécifique autonome par rapport au pouvoir et gérée par les femmes elles-mêmes. 

Une copine de l’A.M.R avait répondu à l’annonce publiée par M. Wittig et A. Fouque sur l’Idiot International (mai 1970), mais dans l’ensemble nous sommes arrivées au cours du mois de Septembre 1970. Moi-même, j’ai atterri dans le groupe des « Petites Marguerites » (tiré du titre d’un film de 1966 de la tchécoslovaque V. Chytilova dans lequel les deux jeunes filles protagonistes saccageaient allègrement les poncifs de la société tchèque de l’époque). 

Nous avons tout de suite travaillé avec les Féministes révolutionnaires, en toute amitié mais non sans dialogues critiques. Car si nous apprécions leur analyse du capitalisme comme représentation historique du patriarcat pour autant il n’était pas question pour nous d’abandonner la critique marxiste du capitalisme et le projet politique global d’une société socialiste et autogestionnaire. 

Nous avons imposé en Novembre 1970 une Assemblée Générale à toute l’A.M.R avec l’ambition de vouloir intégrer une bonne fois pour toute la critique du patriarcat dans le projet révolutionnaire tout en participant à la construction d’un mouvement de femmes autonome et non mixte. 

Nous ne voulions pas nous couper de cette organisation mais cela dépendrait de leur attitude. Ce fut assez épique malgré tout. Quoi qu’il en soit à la fin de cette A.G nous l’avions emporté politiquement une vraie exception dans l’extrême gauche à ce moment là. 

Tout était à construire : une nouvelle identité de femme, de nouveaux rapports humains et sociaux. Il fallait casser les hiérarchies dites « naturelles » : homme/femme, parent /enfant, colon/colonisé, Capital/Travail. 

Nous avons été happées par le mouvement, les groupes de conscience et les A.G. des Beaux-Arts, emportées par un torrent d’affects et de paroles libérées. Nous n’étions pas mandatées par l’A.M.R, nous n’étions pas là pour faire un travail de fraction sectaire ni prendre un quelconque pouvoir ou autorité sur le mouvement. Nous ne pouvions que nous impliquer personnellement et nous remettre en question. 

Autant de raisons pour lesquelles nous avons été acceptées sans problèmes, tout en étant reconnues comme militantes d’une organisation politique, à la différence des filles venant du maoïsme qui avaient du rompre avec leurs organisations, alors que la Ligue Communiste n’a pris conscience que plus tardivement de l’importance du mouvement. Car la plupart des féministes avaient d’abord milité dans les organisations de l’extrême gauche qui les considéraient comme une main d’œuvre destinée à assumer les tâches matérielles voire même le « repos du guerrier ». Elles étaient donc devenues très hostiles à toute approche organisationnelle par les militants de ces organisations. 

Nous revendiquions le féminisme et le marxisme et nous voulions être un lieu de propositions et de débats. Avec quelques filles du mouvement (comme Emmanuelle de Lesseps qui fonda par la suite avec Christine Delphy, Questions féministes) nous avons mis en place un courant, non mixte, ouvert à toutes : le cercle Elisabeth Dimitrieff, essentiellement à Paris, puis à Lyon et ensuite à Bordeaux et à Nantes, sans savoir exactement qui était E. Dimitrieff sinon qu’elle avait été envoyé par Karl Marx auprès de la Commune de Paris en 1871. 

En fait, Elisabeth Dimitrieff a fondé avec Nathalie Lemel « l’Union des femmes pour la défense de Paris» en avril 1871. Elle militait pour la création d’ateliers coopératifs féminins. Elle a écrit dans une lettre : « l’organisation tendant à assurer le produit au producteur ne peut s’effectuer qu’au moyen d’associations productives libres exploitant les diverses industries à leur projet collectif ». L’autogestion était déjà au rendez-vous.. 

Toute notre action dans le mouvement a été déterminée par le fait qu’il ne devait pas se résumer à un mouvement d’intellectuelles et d’étudiantes mais qu’il avait vocation à devenir un mouvement féministe de masse. 

Mais comment informer et rassembler un maximum de femmes ? L’idée d’une pétition autour de la contraception et de l’avortement s’est peu à peu imposée, autant la notre que celle d’Anne Zelensky (Ligue du droit des femmes) ou de quelques rares autres. 

Je me souviens très bien de cette AG au cours de laquelle Zelensky avait été mandatée pour lancer cette proposition. La majorité de la salle regroupée autour d’Antoinette Fouque (Psychanalyse et politique « psy et po », qui signa par la suite le manifeste !) la rejeta sous prétexte qu’une pétition c’était un truc crypto-stalinien quant au futures gouines rouges elles se plaignirent que c’était trop centré hétéro. Nous en avons pris le risque légal (même si la plupart d’entre nous n’avions pas avorté). 

Nous avons défendu le Manifeste des 343 et l’avons réalisé de bout en bout jusqu’à sa sortie dans la presse (5 avril 1971). Le journal Le Monde, André Fontaine à l’époque, refusa de le publier en première exclusivité, il n’en publierait que des extraits. J. Daniel du Nouvel Obs. grâce à l’insistance de Christiane. Rochefort a compris le scoop qu’il pourrait en tirer. 

Nous étions donc une trentaine de filles autour d’Anne Zelensky qui devint le pivot car les réunions se tenaient chez elle et elle avait donné la boîte postale de son groupe de réflexion (FMA- féminin masculin avenir) pour la collecte des signatures. Elle relate d’ailleurs en partie cela dans ses livres, et l’on connait la suite. 

Pour la petite histoire, nous avons été excommuniées par le Pape Paul VI en personne lors d’un message urbi et orbi télévisé! Autre anecdote : nous nous sommes aussi souvent invitées, en jouant de la crécelle, avec les F.R dans les meetings du professeur Lejeune (fondateur de « laissez les vivre» résolument contre l’avortement), comme à Saint Nicolas du Chardonnet – fief des intégristes chrétiens - ou ailleurs. Il fallait courir très vite car les jeunes gens du service d’ordre étaient de fringants nazis. 

Dans la foulée du Manifeste, des hommes, dont des médecins, se sont présentés pour soutenir la campagne et, de ce groupe mixte hommes et femmes du mouvement est né le M.L.A. Le cercle Dimitrieff et l’A.M.R. en furent parties prenantes. 

Le M.L.A (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement) donna naissance au Manifeste des 331 médecins qui déclarèrent avoir pratiqué des avortements puis au MLAC national (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et pour la Contraception) qui se réunissait dans les locaux de la CFDT à Montholon avec Jeannette Laot (Secrétaire nationale), Simone Iff du Planning familial et quelques représentantes politiques : Arlette Laguiller pour L.O. et qui ne disait jamais rien, Irène Krivine pour la Ligue communiste, Colette Audry le PS, Irène Charamande le PSU, moi pour l’AMR et Dimitrieff. 

Nous avons donc participé à l’élaboration de la chartre du MLAC et nous avons été par ailleurs le seul courant politique à soutenir le meeting de lancement organisé par le MLAC national et le Planning à la Mutualité en février 1973. 

Le cercle E. Dimitrieff avait proposé en novembre 1971 de relayer la marche internationale des féministes américaines. Nous en avons réalisé la plus grande part des panneaux et des banderoles qui rendent très reconnaissables cette manifestation que l’on peut revoir souvent à la télé. C’est au cours de cette manifestation, qu’en passant devant l’église saint Ambroise, le cortège rencontre un mariage. Je ne sais ce qu’est devenu ce mariage mais les mariés ont eu de quoi méditer sur leur future vie de couple. 

Mai 1972 : les deux journées « de dénonciation des crimes contre les femmes » à la mutualité, connurent le succès que l’on sait. C’était la première fois que le mouvement, c’est à dire les F.R avec la participation du cercle, dialoguait en direct avec le public sous la forme de plusieurs forums non mixtes. Cette manifestation n’était pas totalement interdite aux hommes, contrairement à ce qui a été dit, ils assuraient les crèches pour les enfants, les garçons de l’A.M.R. le service d’ordre et à la fin, la grande salle leur était accessible pour les comptes rendus des forums. 

C’est au cercle E. Dimitrieff que l’on doit dès le début de 1971 l’impulsion pour la création des comités de quartiers. Le premier créé en mars 1971 a été le 18e suivi par le 20e et le 15e. Au fur et à mesure de leur création les comités ont repris le relais de la campagne pour l’avortement et la contraception. Ils tenaient des permanences d’information où se pratiquait parfois la méthode Karman (interruption de grossesse). Ils intervenaient sur les marchés et organisaient des débats autour du film de Biberman, Le Sel de la terre, film réalisé sous la période du maccarthysme aux États-Unis. Au cours d’une grève de mineurs d’origine mexicaine, leurs femmes finissent par s’investir dans cette grève tout en ayant à lutter au départ contre leur hostilité. 

Avec le groupe du 18e nous avons été à l’initiative de la première coordination des groupes de quartier vers la fin janvier 1972. Ensuite, avec le 18e et Nanterre nous avons lancé les premiers débats sur le thème « luttes de femmes/luttes de classes », les 10 et 17 Juin 1972. 

Lors de la première réunion il y avait 37 filles venant des comités 17e, 18e, 20e, Ivry, Nanterre, le cercle Dimitrieff, des maos de Boulogne et de Nantes. Plusieurs questions ont alors été abordées : Quels rapports entre patriarcat et capitalisme ? Quelle analyse de classe sur l’oppression des femmes ? Conscience féministe/conscience de classe ? 

Par la suite nous avons proposé aux comités de quartier d’intervenir sur les entreprises de leur quartiers pour y favoriser la mise en place de groupes femmes salariées, qui dans notre esprit, se devaient de dialoguer avec et pourquoi pas militer aussi dans les commissions femmes des syndicats en se syndiquant voire même à en créer et, disons-le, pour que les femmes dans les entreprises échappent à la présence hégémonique du PCF toujours sous influence stalinienne et marqué par un puritanisme hypocrite mit en scène par le couple dirigeant Vermersch-Thorez. 

Le 21 janvier 1972, Jacques Duclos et Madeleine Vincent tiennent un débat à la Mutualité « La parole est aux femmes ». Nous avions trusté avec quelques militants du FAHR (Front d’Action Homosexuel Révolutionnaire) le temps de parole réservé à la salle en nous inscrivant immédiatement. Au début la tribune était ravie, la salle était pleine, mais au fur et à mesure de nos interventions elle a vite déchanté tant et si bien qu’à un moment donné Jacques Duclos bafouillant de colère s’est écrié «Mais, les Françaises sont saines ! ». 

Peu après l’Union des Femmes Françaises (femmes proches du Parti) nous a contactées. Une des responsables parisiennes était salariée à la BNP tout comme moi et nous militions toutes les deux à la CGT. Après s’être excusée pour la tirade de Duclos, elle m’a offert le statut de sympathisante de l’UFF. Je l’ai refusé bien entendu tout en lui répondant que je n’étais pas hostile à un travail commun à la BNP, dans le cadre du C.E et je lui ai donné un paquet de Manifeste à faire signer. 

D’autre part, il fallait secouer la CGT dont les commissions femmes - malgré l’évolution réelle d’Antoinette son journal en direction du salariat féminin - ronronnaient sur les revendications salariales (très important quand même) et l’aménagement d’un temps de travail spécifique sous forme de congés de maternité, de soins à l’enfant et de départ anticipé à la retraite, car c’était la réponse de ce syndicat à la « double journée ». 

Petite parenthèse : le temps de travail partiel apparu dans les années 1980, présenté comme du « temps libéré » était en fait la mise en forme par le patronat de ce principe tenace d’un temps de travail réduit pour les femmes afin qu’elles puissent se « consacrer » aux tâches ménagères et d’éducation des enfants. Nombre de syndicats CGT et surtout CFDT ont signé ces accords. Une partie de ces salariées arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Elles vont malheureusement en découvrir les contreparties en termes de pensions. 

Pour le cercle, il fallait tout mettre en œuvre pour que les femmes salariées puissent participer à la formation de ce courant « luttes de femmes, luttes de classes » et lui donner une réelle assise sociale. De nombreuses grèves de femmes dans la foulée de Mai 68 se déroulaient dans le pays, contre la liquidation du textile dans le Nord (Roubaix), de la bonneterie (Troyes) ou encore sur les conditions de travail dans le commerce (Thionville), et plus tard, les LIP, les PIL, les Chèques postaux et le « Mai des Banques » en 1974, etc. Ces secteurs essentiellement à main d’œuvre féminine peu qualifiée n’étaient pas ou peu syndiqués. 

Au cours de ces grèves très dures les femmes tenaient les piquets de grève, occupaient la nuit leur lieux de travail. Elles devaient non seulement s’organiser face au patronat mais aussi résister à leurs compagnons qui les préféraient plutôt à la maison. Le cercle Dimitrieff a soutenu ces luttes. Nous nous sommes rendues par exemple plusieurs fois à Thionville et nous avons même tenté de les aider à se coordonner, mais elles voulaient agir essentiellement localement. 

Anecdote. C’est ainsi que nous avons été invitées avec les F.R., Simone de Beauvoir et Simone Signoret par Martin Karmitz, des cinés MK2, alors réalisateur, à l’avant première de son film « Coup pour coup » (sorti en Fev. 1972), sur une grève de femmes. Elles avaient participé au scénario et elles devaient être présentes. Simone de Beauvoir et nous-mêmes avions jugé que leur langage était vraiment artificiellement maoïste. Simone Signoret n’était pas d’accord, tant et si bien que les deux Simone se sont sérieusement disputées chacune prétendant connaître la parole ouvrière mieux que l’autre ! 

Nous avions eu en parallèle plusieurs contacts avec Jeannette Laot de la CFDT. Grâce à ces contacts, à notre action pour le Manifeste des 343, la campagne contraception /avortement et notre soutien autour de ces grèves, nous avons bénéficié de son entremise auprès du syndicat CFDT de la Thomson à Bagneux qui avait été le premier à prendre l’initiative d’organiser avec des sympathisants un débat autour de la famille et qui avait eu un grand succès chez les salariés. Il avait demandé à la Confédération une aide pour réaliser dans le cadre du C.E un travail de débats autour de la condition des femmes. Nous avons donc participé avec eux à l’élaboration et l’animation d’un certain nombre de thèmes. 

L’idée a par la suite séduit de plus en plus de syndicats CFDT qui ont pris le relais. Cependant l’avortement et la contraception ont été diversement traités par les syndicats CFDT. La CFDT avait abandonné la référence au catholicisme mais elle recrutait encore essentiellement ses militants dans les milieux de la jeunesse ouvrière catholique et le courant social chrétien. Part exemple à la BNP les militantes CFDT n’ont pas signé le Manifeste, elles n’étaient pas formellement contre mais elles n’étaient pas formellement pour, alors que les militantes de la CGT l’ont signé sans problèmes et l’on présenté à un certain nombre de salariées. 

Alors avec la CGT j’ai pu développer toute une série de débats auprès des salariées, 65% de femmes dans les deux plus gros centres administratifs de Paris (Barbès, Bergère), pendant les heures de repas, avec, par exemple le docteur Carpentier qui distribuait en 1971 des tracts aux lycéens intitulés « Comment faire l’amour » et qui fut condamné pour cela, ou le Planning. 

J’en viens à notre publication, la brochure « Sortir de l’ombre » en mai 1972, rééditée et réactualisée avec un bilan critique en avril 1975 sous le titre – « Pour un féminisme autogestionnaire ». 

Aujourd’hui on parle du « Care », nous à l’époque nous étions (et je reste toujours) pour la socialisation de toutes les tâches dites domestiques dans des structures autogérées, ouvertes 24h/24, gratuites, avec un personnel formé et bien rémunéré, à la totale disposition de qui voulaient les utiliser. Nous y abordions aussi diverses questions : qu’est-ce que la virilité, « l’éternel féminin », l’amour, la sexualité, le travail, sans omettre de réaffirmer la nécessité de la pérennité d’un mouvement de femmes autonome et non mixte dans la lutte pour une société socialiste autogérée. 

Nous avons aussi participé à la commission préparant Le Torchon brûle, le premier journal du MLF mais sans nous y investir par la suite. Ce journal « était menstruel », car sa publication ne pouvait qu’être très irrégulière dans la mesure où elle reposait sur le fait que chacun des groupes du MLF devait prendre en charge sa confection et sa rédaction à tour de rôle, ce qui se révéla pratiquement irréalisable. 

Le cercle s’est auto-dissout peu à peu avant la fin de l’année 1975. Le mouvement se renforçait mais la pratique féministe était éclatée entre groupes de conscience, groupes de travail, groupes de quartiers, les F.R d’un côté, Psy et po de l’autre et par ailleurs les gouines rouges. Les groupes de quartier avaient par exemple refusé en majorité de participer aux deux journées de dénonciation des crimes contre les femmes. 

Nous avions proposé pour les comités un système de délégation par rotation avec révocabilité et représentation des minorités pour éviter toute bureaucratisation réelle ou occulte mais chaque groupe se réfugiait alors dans un certain « basisme » très fortement teinté de gauchisme. 

L’ambiance générale, héritée de Mai 68, était en fait réticente à toute structuration centrale. Certaines filles du cercle vivaient mal cette situation. D’autre part, militer au mouvement des femmes se révéla être un militantisme intense même s’il était plein de joie et d’humour. Une lassitude physique commençait à poindre car il fallait, quand même, pour une partie d’entre nous se rendre quotidiennement au boulot et assumer non pas la double, mais la quadruple journée si l’on ajoutait à la journée de travail, militantisme féministe, syndical et politique. 

Mais surtout le militantisme féministe collectif du cercle n’a pas résisté aux aléas de la vie politique qui ont suivi le reflux de Mai 68 et qui ont conduits l’A.M.R. à rejoindre fin 1974 début 1975 le PSU alors parti des LIP et de l’autogestion. 

Des dissensions sont apparues sur l’avenir du cercle, entre nous et entre nous et les femmes du PSU, malgré le soutien d’Yvette Bouchardeau secrétaire nationale responsable du travail femmes. 

Quelle commission femmes mixte ou non mixte ? Quels rapports entre cette commission femmes PSU et le Cercle ? Quelle autonomie ? Cercle de réflexion féministe autonome et non mixte ou cercle de propagande du PSU dans le MLF ? 

Nous avons décidé de faire le point, de rééditer la chartre en avril 75 en la réactualisant. 

Peu à peu, toutefois, chacune s’est désinvestie choisissant son propre chemin militant. 40 ans plus tard la société n’est plus exactement la même. 

Mais aujourd’hui, nous avons à faire face à la violence haineuse d’un système qui exclu de plus en plus de femmes et d’hommes et les rejette dans le chômage, la précarité, la misère. Il nous faut résister toutes ensemble et dans l’unité.


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